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Victor Hugo et les esprits

Sébastien Thill

 A la question "Esprit es-tu là ?", des coups se mirent à retentir sur un petit guéridon, encadré par deux hommes, les mains appuyées contre son plateau. Dix-neuf coups d'abord, comme la 19ème lettre de l'alphabet, le S, puis 8, pour le "H" etc. jusqu'à former le nom de Shakespeare. C'est le célèbre dramaturge qui vient hanter les lieux ! 

Les coups n'en finirent plus de cogner contre le guéridon. 

Quel est ce message que Shakespeare tentait de communiquer ? Serait-ce le texte d'une nouvelle pièce ? 

En tout cas, c'est un texte d'une rare intensité qui allait naître de ces 4h éprouvantes de séance ininterrompue. 

Comme beaucoup d'auteurs du 19ème siècle, Victor Hugo était friand des séances de spiritisme. 

C'est le 27 avril 1854, que ce dernier assista à une séance spirite des plus étonnantes.  

En 1852, Victor Hugo s'installe à Jersey, afin de fuir la France le Second Empire établi et maintenu par la force de son auteur : Napoléon III. 

C'est d'ici qu'il allait tirer à boulet rouge ses pamphlets anti-Bonapartistes. 

Un an après son arrivée, il fit la connaissance de Delphine de Girardin. 

Grande autrice, connue du tout-Paris et adepte du spiritisme, elle veut convaincre le petit cercle de l’écrivain que les vivants peuvent communiquer avec les morts. À cette époque, les cercles mondains se passionnent pour les expériences paranormales. Il y a les théories sur le somnambulisme magnétique, l'ancêtre de l’hypnose, mais aussi une nouvelle mode qui vient des États-Unis : les tables tournantes des sœurs Fox. 

Arrivée à Marine Terrace le 6 septembre 1853, Delphine de Girardin initie donc l’entourage d’Hugo au spiritisme. La première tentative se déroule dès le 7 septembre, mais se solde par un échec : aucune révélation de la Table. 

Les séances vont se poursuivre pendant près de deux ans, d'abord selon cette technique : on utilise un guéridon à trépied posé sur une table. Deux participants mettent leurs mains à plat sur la Table qui dicte son message, lettre à lettre, au moyen de frappements : un pour A, deux pour B, etc. ; aux questions, la Table répond en frappant un coup pour oui, deux coups pour non. Un des participants note questions et réponses sur le Livre des Tables. 

Le 11 septembre, enfin, tressaillement de la Table : les premières révélations bouleversent l'assistance persuadée que c'est Léopoldine qui s'exprime par la Table. 

 

"FILLE... MORTE..." 

Hugo demande : "Es-tu heureuse ?" 

"OUI" 

"Que faut-il faire pour aller jusqu'à toi ?" 

"AIMER" 

Victor Hugo est troublé, ému, bouleversé par cette communication, épuisé par dix ans d'un deuil impossible. 

Serait-ce sa fille Léopoldine, morte noyée dix ans plus tôt qui viendrait communiquer avec lui ? 

 

On raconte que les morts n'en finiront plus de communiquer chez Victor Hugo: Dante. Galilée, Molière, Platon, Dante, Jésus, Machiavel, Rousseau, Moïse, Napoléon 1er , et même Napoléon III dans son sommeil ! 

 

Épuisantes soirées, quand on songe que la Table pouvait dicter jusqu'à quatre mille mots ! Aussi une autre méthode fut-elle proposée : les lettres de l'alphabet seraient inscrites sur un cadran muni au centre d'une aiguille que les esprits feraient tourner.  

Les assistants inscriraient la lettre devant laquelle l'aiguille s'arrêterait. En revanche, à sa demande, les participants ont recours à une table à trépied, dont l'un des pieds est muni d'un crayon. De là, les dessins spirites. 

C'est la Table qui aurait demandé à Hugo de reprendre la rédaction des Misérables, ou d'écrire un poème : ce sera "Ce que dit la bouche d'ombre". 

 

Les séances n'en finissent plus d'asseoir la réputation de la Maison de Jersey. 

Pourtant, ces séances spirites s'avèrent ne fonctionner qu'en présence de Charles, le fils de Victor Hugo, ancien secrétaire de Lamartine, écrivain et journaliste, comme si lui seul possédait le "fluide" nécessaire à l'expérience. 

 

Est-ce la revanche inconsciente d'un fils écrasé par un père génial. Charles médium "a le pouvoir de tout dire, la faculté admirable d'être, le temps d'une absence, le prophète d'une poésie qui n'est pas encore née". La période spirite à Jersey, en effet, évoque "l'époque des sommeils", l'écriture automatique des surréalistes. 

 

Et si Charles Hugo avait été touché par le cœur ravivé de son père ? 

Ravivé par l'idée de converser avec les esprits? (ceux-ci étant de plus assez complaisants à son endroit!) 

 

Ravivé également à l'idée de l'existence d'une vie après la mort ? 

Et si Charles avait eu l'idée de convoquer les génies du passé pour éloigner l'esprit de son père de la mort de sa fille Léopoldine mais aussi l'aider à trouver la force de se dresser contre l'Empereur et se consacrer à l'écriture des chefs d'œuvre que l'on connaît ? 

Trois années sont passées et à partir de 1855, la situation change : lors d'une séance, un forcené se jette sur Charles pour le tuer, les prédictions de la chute de Napoléon III tardent à se vérifier et la Reine Victoria décide d' expulser tous les réfugiés de l'île de Jersey, forçant la famille Hugo à trouver refuge sur l'Ile de Guernesey. 

 

Les procès-verbaux de ces séances forment quatre cahiers manuscrits, réunis sous le titre « Le Livre des Tables » ; seuls deux d’entre eux nous sont parvenus, dont un inédit. 

 

Si on peut douter de la véracité de la visite de ces génies disparus, ces séances spirites auront permis à Victor Hugo d'écrire des textes devenus des monuments incontournables de la littérature, comme sous l'emprise d'une écriture automatique, en s'obligeant, probablement inconsciemment à écrire "à la manière de". 

 

Peut-être pourrions-nous adopter cette pratique pour créer notre magie, un peu à la manière de Dominique Duvivier qui songeait à des visites virtuelles d'illustres magiciens, frappant à sa porte et lui demandant de les bluffer ? 

Par exemple, comment bluffer Derek Dingle avec un triomphe ? Probablement en mélangeant réellement les cartes faces en l'air et faces en bas ! 

Ne reste plus qu'à trouver comment finir l'exploit...  

Sans avoir besoin de faire tourner une table ! 

 

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La magie d’Oulipo