C'est en 2020, en écoutant l'académicien François Cheng que me sont venues les réflexions suivantes. En effet, invité de l'émission La Grande Librairie, l'auteur évoquait un des piliers fondateurs de son œuvre : la beauté.
François Cheng par ©David Despau
Je me suis amusé, à prendre son interview en notes et, comme souvent, à remplacer le mot "beauté" par le mot "magie". Le résultat est pour le moins inspirant, comme vous allez le constater.
L'interview débuta par la question du sens de la (beauté) Magie, et si elle en avait un : sa réponse fut éclatante.
Théorie
Il faut d'abord distinguer les trois "sens" du mot "sens" (justement !) : la signification ("meaning" en anglais), la direction ("way" en anglais) et l'aspect sensoriel ("sense" en anglais)
En effet, si la langue anglaise, par exemple, distingue bien les 3 concepts, la langue française utilise trois homophones, qui peuvent être source de confusion, de malentendu.
Pour François Cheng, la langue que l'on parle est un des moyens d'accéder à la Magie (beauté). Comme si la langue était une tour à plusieurs étages et que c'est seulement une fois posté tout en haut de cette tour, en surplomb des choses, qu'on peut accéder à la Magie (beauté).
Par quel sens ("sensitif") parvient-on à accéder à la Magie (beauté) ?
François Cheng distingue trois portes d'accès :
Le corps (la vue par exemple, rire d'un jeu de mots)
Si nous appliquons ces définitions au sujet qui nous réunit ici, la Magie, on comprend que pour toucher le corps, le tour de magie s'auto-suffit d'une certaine façon : les yeux voient l'effet, les mains touchent le jeu de cartes, les oreilles entendent une musique, le bruissement du jeu mélangé ou le texte du magicien etc. )
La conscience/l'esprit (comprendre comment ça marche)
Selon la théorie "Chengienne", c'est donc par le langage, notre scénario qu'on touche l'esprit (la logique, la mémoire, l'appel à ses connaissances...)
- L'inconscient/l'âme : la part d'enfance, la quête d'absolue que la Magie (beauté) vient réveiller en nous.
- L'âme/l'inconscient du spectateur, c'est en passant par la création artistique, notre sensibilité, notre sincérité, notre émotion, qu'on peut atteindre une forme d'universalité.
Méthodologie
Pour être plus concret, j'ai essayé de rendre cette théorie plus pratique en essayant de tracer une sorte de méthodologie, une route pour atteindre la Magie (beauté)
1 - Le choix.
D'abord, se demander de quelle émotion on souhaite enrichir le tour que nous voulons présenter.
On utilise souvent le rire par exemple, car c'est une émotion immédiate, simple à valider grâce au rire obtenu, mais sans doute que de n'utiliser que cette émotion peut donner une tonalité sinon monotone, tout du moins monocorde.
Pourquoi ne pas utiliser d'autres sentiments : la peur, la colère, la tristesse, la nostalgie, le suspens, le questionnement etc.
2 - La matérialisation.
Une émotion peut-être suscitée par plusieurs éléments.
L'objet qu'on utilise (rareté, nostalgie, valeur sentimentale ou financière...)
La musique qu'on emploie a également une valeur émotionnelle précieuse (les bandes originales de film en sont la preuve éclatante : si le requin approche de ses proies avec une telle intensité ressentie,c'est grâce au génie du compositeur John Williams)
Par le talent de l'artiste à l'interpréter (c'est-à-dire, non pas chercher à sur-jouer ou appuyer un sentiment, à la manière des masques de théâtre antique, mais plutôt à chercher à cacher cette émotion ressentie : ce ne sont pas les larmes d'un comédien qui nous bouleverse mais plutôt sa capacité à les retenir devant ses enfants à l'écran, par exemple)
Je me souviens d'un livre de l'acteur Michel Bouquet qui expliquait qu'il allait souvent dans les musées regarder les portraits plus ou moins illustres qui y sont exposés, de se demander quelle émotion suscitait en lui chacune ses portraits et d'enregistrer l'expression faciale qui avait suscité en lui cette émotion.
Avec internet, il est encore plus facile d'accéder à tous ces chefs d'œuvre
Il peut être intéressant d'avoir un portrait sous les yeux en écrivant votre texte en vous demandant ce qu'écrirait cette personne à votre place.
Vous pouvez également ajouter, ce portrait à votre script ou à vos notes.
« Le Cri », Edward Munch, Musée Munch, Oslo.
« Le désespéré » de Gustave Courbet (Collection privée).
3 - La mémoire.
Enfin, en jouant sur la mémoire, ou plutôt, les mémoires.
Je m'explique, la mémoire individuelle est sans doute la plus touchante, comme la mémoire de Marcel Proust qui retrouve un temps perdu en croquant dans une madeleine plongée dans une tasse de thé, ce n'est pas seulement le plaisir du goût mais c'est toute son enfance qui ressurgit dans l'amertume du thé, la douceur de la madeleine et le fondant réconfortant de cette texture. Ce qu'il retrouve, ce n'est pas forcement une époque passée ou sa jeunesse mais plutôt un état de bonheur.
En grandissant, cette mémoire individuelle est complétée par d'autres mémoires : notre famille, notre communauté, notre mémoire collective (nationale ou mondiale)
Je pense que la mémoire individuelle, même si elle semble la plus personnelle, est en réalité la plus universelle : apprendre à lire, jouer dans la cour de l'école, être sermonné, se brûler en s'approchant trop près d'une flamme, dessiner, dont on nous avait bien dit de rester à distance, la sensation que tout est grand quand on est enfant (les lieux, les personnes, les objets etc.).
Tandis que les mémoires plus collectives, officielles peuvent parfois être sources de malentendus, de conflits parfois.
En espérant que cette grille de lecture vous inspirera, qu'elle vous questionnera, qu'elle vous interpellera.
En y réfléchissant plus attentivement, la Magie n'est-elle pas la fusion du corps de l'esprit et de l'âme, en une seule entité ?
Voilà qui nous emmène vers des sommets métaphysiques.
Un peu comme la Beauté (Magie), en somme !