
« Le jeu du bonneteau », English School
Qui n'a pas déjà croisé dans une rue animée, une foire, un champ de course, au Marché aux Puces, à la sortie d'un métro ou encore au pied de la Tour Eiffel, un de ces hommes devant une table de jeu improvisée ?
Il manipule trois cartes retournées dos vers le haut, et il s'agit, sur le principe de la roulette russe, de retrouver la Dame de Cœur, perdue parmi deux cartes noires à points.
Le bonneteau se nomme également le jeu du « chercher la dame » ou du « Find the lady » en anglais. Autour de lui, devant un jeu semblant si simple, des individus se regroupent et misent de l’argent pour retrouver l’emplacement de la carte rouge.
Il existe de nombreuses déclinaisons de ce pari : retrouver une bille parmi trois gobelets, un pois parmi trois demi-coquilles de noix, un nœud coulant sur une chaînette parmi deux fausses boucles.
Mais c'est toujours le même principe : l'apparente simplicité du jeu, et la forte probabilité de gagner (au minimum une chance sur 3)
D'autre part, le bonneteau joue sur un principe bien connu en psychologie : le "renforcement intermittent".
Ce principe est source d'une addiction difficile à combattre et est bien évidemment bien connu des casinos ou des concepteurs de réseaux sociaux : l'attente d'un gain ou d'un contenu intéressant (dans le cas qui nous intéresse, un gain) nous fait scroller notre fil à l'infini ou baisser le bras d'une machine à sous de façon compulsive, jusqu'à l'éventuel obtention du jackpot qui pourrait tomber "le coup d'après".
C'est d'ailleurs motivés à la vue d'autres parieurs qui gagnent facilement de l’argent, que les promeneurs ou touristes s’amassent autour du manipulateur : tout le monde veut tenter sa chance !
Et pourtant, même en ayant eu la sensation de ne pas avoir quitté des yeux la fameuse « dame rouge", aucun ne la trouvera et perdra inexorablement votre argent.
Neuf fois sur dix, c’est un touriste étranger qui se fait arnaquer par le bonneteau. Sur les Champs-Élysées, la mode est actuellement à la manipulation de trois disques en bois noir dont l’un est marqué par une tache blanche. C’est le « three disk monte ».
Mais connaissez-vous vraiment l'histoire de cette célèbre escroquerie ?
Indémodable et résistant à toutes les époques, le jeu du bonneteau ne date pas d'hier et remonte en réalité au Moyen-Age.
A cette époque, le bonneteur jouait avec une noix, une boule le liège ("escamot") ou encore une fève dissimulés sous des gobelets ou coquilles.
L’une des représentation sans doute la plus célèbre de cette arnaque est une huile sur bois réalisée entre 1475 et 1505 par Jérôme Bosch, peintre néerlandais, et intitulée « L’escamoteur ».
Les "escamoteurs" ou "bateleurs" étaient des illusionnistes de rue qui pratiquaient l’équivalent du « jeu de bonnette ». Il existe 5 versions de ce tableau et des scènes d’escamoteurs ont été plusieurs fois reprises au cours de l’Histoire.

En 1969, ce thème avait été repris par Tim, un caricaturiste et dessinateur satirique pour le titre de presse français L’Express, quelques jours avant la tenue du référendum sur la réforme du Sénat et la régionalisation.
Le général de Gaulle y était représenté sous les traits de l’escamoteur, tenant d'une main une noix de muscade en forme de « o » pour le « oui » , tandis que la baguette magique était remplacée par une urne électorale.
La mise en scène est toujours la même, une toile savamment tissée autour des victimes : autour du bonneteur, le manipulateur de cartes, il y a 4 ou 5 « barons » qui sont ses complices. Pour faire en sorte que les passants misent à coup sûr, ces « barons » parient et gagnent à tour de rôle. Au même moment, les autres complices rabattent les potentiels parieurs, surveillent l’arrivée éventuelle de la Police et repoussent les éventuels perdants énervés.
Une fois le piège tendu, quand ce sont les complices qui misent, le bonneteur manipule les cartes de manière à ce que la reine rouge soit facilement identifiable.
Ils ne cessent de crier « Où est la reine, vite, vite ? » pour éveiller la curiosité des passants dans la rue ou sur la place souvent bruyante.
Mis en confiance par la simplicité du jeu et les gains des complices, les passants n’hésitent pas à miser 20, 50 voire 100 euros pour les plus confiants!
A ce moment, le bonneteur ne jette plus la carte de la dame rouge (qui est en dessous) en premier sur la table, mais celle du dessus. La victime peut difficilement percevoir cette manipulation astucieuse.
Si par hasard, c'était le cas, le bonneteur peut encore échanger la bonne carte contre une mauvaise.
Sinon, le joueur gagne en effet, mais les complices lui demandent expressément de rejouer pour doubler sa mise pendant que le bonneteur veille éventuellement à lui donner un faux billet !
Bref, l’escroquerie est bien orchestrée : complices, conditionnement, mises en confiance au début par une manipulation lente des cartes et enfin, tour de passe-passe des cartes (vitesse, filage, retournement, etc.).
Bien qu'interdit, comme toute arnaque à la sauvette, il est souvent compliqué pour les forces de police de surprendre les arnaqueurs en flagrant délit.
En France, le bonneteau est interdit, car il s’inscrit dans un jeu de hasard réalisé sur la voie publique et dont l’enjeu est l’argent (article L. 324-1 du Code de la sécurité intérieure). Le bonneteur et ses complices peuvent aussi être poursuivis pour l’infraction d’escroquerie (article L. 313-1 du Code pénal français). La peine maximale encourue est de trois ans de prison et 375 000 Euros d’amende.
Lorsqu’ils les surprennent, les policiers, souvent issus des unités de sécurisation touristique, doivent interpeller le bonneteur et ses complices. Mais aussi, les victimes afin de qualifier l’infraction en escroquerie. Ces arnaqueurs, souvent issus de bandes organisées, peuvent gagner plusieurs milliers d’euros en une journée. Et surtout, gâcher la journée de nombreux touristes.
Les magiciens n'ont pas mis longtemps pour reprendre le bonneteau à leur compte, dans le but, cette fois de divertir leur public, et pourquoi pas les prévenir des risques de cette escroquerie toujours en vogue.
Il est amusant de voir que dans le tableau de Jérôme Bosch beaucoup de principes de prestidigitation sont exposés : le temps d'avance (les accessoires cachés derrière la table), le détournement d'attention (les jeux de regard), les complices (le pickpocket), l'art de dissimuler (la chouette dans le panier et même un visage formé par les objets posés sur la table !)
Si vous souhaitez en connaître davantage sur cette toile, n'hésitez pas à aller lire le catalogue "Jérôme Bosch et l'Escamoteur" publié par le Musée Municipal de Saint Germain en Laye et les Editions d'art Somogy, en 2002, à l'occasion de la restauration et de l'exposition de cette œuvre à Saint Germain en Laye.

« L'Escamoteur », Jérôme Bosch (1475 et 1505),
conservé au Musée municipal de Saint-Germain-en-Laye.
Tous les moyens sont bons pour étonner le public : cartes truquées, gobelets aimantés, effet final (les cartes se transforment, un fruit apparaît sous chaque gobelet, les gobelets sont pleins et ne peuvent rien contenir...), principe de Bob Hummer, Green Neck System, apparition d'un quatrième gobelet (Dominique Duvivier), Bonneteau mental, Carte Folle, choix équivoque, forçage, Ultimate 3 card monte de Michael Skinner etc.
Et pourquoi ne pas imaginer d'autres versions, avec de nouvelles contraintes : cartes blanches, jeu entier, autres objets (photos, petites boîtes, sachets, cartes de crédit ou de transport, cartes de visite, liquides, roulette russe, clés ouvrant un cadenas, pièces datées, timbres, bijoux dans un écrin.
Bref le bonneteau n'a pas fini de nous étonner, pour le meilleur, mais aussi pour le pire, n'hésitant pas à gâcher la journée de tant de touristes!