De même que Marcel Proust avait sa "madeleine", quel magicien n'a pas connu le magasin Mayette Magie Moderne ? Personnellement, c'est une part de mon Neverland personnel qui surgit à chaque fois que je passe ses portes.
Plus qu’une boutique, un rituel pour l’enfant de banlieue que j’étais.
D'abord feuilleter encore et encore le catalogue à couverture verte, lire et relire les effets, rêver de ces trésors tant convoités aux noms si évocateurs (Foulards du 20ème siècle, Boules Excelsior, voir et revoir les illustrations, sélectionner les tours en fonction du budget au gré de l'argent de poche, de Noël ou d'un anniversaire, quitte à en garder pour la prochaine fois.
Descendre du RER à Saint Michel, remonter le boulevard du même nom, tourner à gauche, sur le Boulevard Saint Germain jusqu'à la Rue des Carmes, voir la façade rouge du magasin qui encadre les vitrines où était exposés du matériel de scène.
Avec à chaque fois, l'impression d'entrer dans un monde totalement en dehors de la réalité et du quotidien.
Passer les portes de verre, et découvrir les tours exposés en vitrine, juste à droite des farces et attrapes, derrière et sous le comptoir, rêver devant les tiroirs de bois qui contiennent tant de merveilles.
Attendre son tour en s'asseyant sur un des dés en bois géants, observer la chouette, mascotte du magasin, qui trônait au-dessus du comptoir, et enfin avoir droit à la démonstration d'une des nouveautés, venant modifier la liste préparée avec tant de soin ! Des moments inoubliables !
On dit que Mayette est la « plus ancienne boutique de magie du monde ». Toujours est- il que l'histoire du magasin remonte à plus de deux siècles.
C'est en 1808 qu'un certain Charles Aubert fonde une maison d'édition de chansons.
Après 22 ans d'exercice, il déménage la boutique et y introduit de nouveaux articles : des accessoires de farces et attrapes ainsi que quelques appareils de prestidigitation et de physique amusante. 
A la fin du siècle, un de ses employés, Léon Baudot, reprend la boutique avec sa femme, et développe le nombre d'articles « pour rire et faire rire » : farces et attrapes, accessoires de fête, et continue à vendre des articles de prestidigitation.
Leur intelligence et leurs idées conjointes apportent un dynamisme nouveau à la boutique, élargissant la gamme d'articles "pour rire et faire rire" et contribuant à l'essor des accessoires de magie.
Rappelons qu’à l’époque, l’accès aux « secrets » des magiciens était beaucoup plus difficile, sans véritable boutique dédiée à cet art, et encore moins Internet, ou YouTube !
Finalement, les farces et attrapes étaient souvent une première étape pour apprendre ses premiers tours de magie.
En 1913, et pendant 20 ans le magasin devient, sous la direction d' Henri Billy, "Maison BILLY", et y vend du matériel d'illusionnisme en étoffant son catalogue dans cette catégorie.
Livret publié par H. Billy
C’est en 1922, que la boutique s'installe au 8, rue des Carmes, adresse qu'elle occupe encore aujourd'hui. Cette nouvelle implantation, située au cœur de Paris, symbolise l'expansion et la reconnaissance croissante de Mayette Magie dans le monde de l'illusion. C'est durant cette période que la boutique s'affirme comme un véritable centre d'expertise, attirant des magiciens amateurs et professionnels en quête d'articles uniques et de conseils avisés.
En 1933, la boutique prend le nom d'André Mayette qui reprend le magasin, avec son épouse. Tous deux maintiennent l'activité de farces et attrapes et de chansons mais en les reléguant au second plan : la boutique devient connue pour la fabrication d'appareils de prestidigitation et son activité d'éditeur de livres sur l'illusionnisme.
André Mayette
La qualité et l'ingéniosité des produits proposés attirent des magiciens amateurs et professionnels de renom qui allaient rapidement contribuer à la réputation grandissante de « Mayette Magie Moderne ».
La publication de livres sur l'illusionnisme, tels que "La Prestidigitation sans Bagages" du Docteur Dhôtel et le "Cours Magica" de Robert Veno, renforce la position de la boutique comme une source d'expertise et de savoir-faire dans le domaine. Ses différents ouvrages sont d’ailleurs encore aujourd’hui disponibles sur le site de la boutique en format PDF.
En 1958, un enfant passionné de magie, depuis qu’il a visionné le film « M le Maudit » et désireux d’en savoir plus, franchit pour la première fois le pas de la boutique.
La magie opère : les vitrines, les dés géants, les démonstrations au comptoir, la multitude de tiroirs de bois regorgeant de mystères. Il y laisse tout son argent de poche, avec l’impression à chaque fois d’avoir encore tout un stock de merveilles à découvrir ! Ce qu’il ne sait pas encore en revanche, c’est que 33 ans plus tard, il rachètera la boutique, ainsi que tout son stock !
Cette histoire incroyable et véridique, qui ressemble à un conte de fée, est à découvrir dans l’ouvrage « Duvivier », publié chez Marchand de Trucs.
De 1965 à 1991, sous le nom de "Magie Moderne Hatte Mayette", Michel Hatte rachète le magasin ainsi que la maison d'édition et en fait un lieu incontournable pour le milieu magique.
Il édite le magazine Mad Magic, conçu par James Hodges et édité par Jean Merlin.
Dès 1965, la boutique est reconstruite et modernisée, reflétant le succès et l'ambition de Mayette Magie. Une nouvelle installation permet d'accueillir un plus grand nombre de clients et d'offrir une meilleure expérience d'achat.
La publication de la revue mythique Le Magicien devient un trait d’union entre les magiciens de la capitale.
Lors d’une vente aux enchères salle Drouot, il fut considéré par le journal Libération comme “le premier fabricant et marchand de matériel pour illusionnistes et magiciens en France, de 1965 à 1991”
Catalogue Mayette Magie Moderne , édition de 1967
C'est à la fin des années 1980 que j'ai connu la boutique.
Vous connaissez certainement la suite de l'histoire : en 1991, Dominique Duvivier rachète le magasin avec sa fille Alexandra, et décide de ressusciter la revue Le Magicien en 1992, devenant ainsi son rédacteur en chef.
Photo : Paris Zig Zag
Il se trouve qu'en 1995, je devenais étudiant, à deux pas de la boutique (difficile de résister à des visites régulières)
Discuter des heures au comptoir, au risque de louper des cours, acheter le numéro trimestriel du Magicien, aller le dévorer au Jardin du Luxembourg, juste à côté.
C'est à cette époque que j'ai pu rencontrer pour la première fois Dominique Duvivier, qui m'avait fait la démonstration du Jeu Nudiste (en jeu bicycle bleu, je m'en souviens comme si c'était hier !)
C'est là que j'ai découvert une nouvelle ligne de produits, de nouveaux concepts, les tours de "petits paquets" : L'imprimerie, Les Parchemins, Les Jokers, Aladdin et tant d'autres, que j'ai pu dévorer chaque volume de la « Série Jaune », qui reste à mon sens la meilleure collection que j'ai pu visionner en magie, par la qualité des tours qui y étaient montrés et expliqués, mais surtout la passion communicative qui traversait l'écran, avec des invités aussi prestigieux que Dominique Duvivier, Jean-Jacques Sanvert, Gaëtan Bloom, Derek Dingle ou Larry Jennings.
Depuis, on ne compte plus le nombre de reportages à la télé, à la radio, dans la presse, dans les guides qui lui ont été consacrés.
On ne compte plus non plus les créations éditées par la boutique : cassettes vidéo, dvd, tours, exclusivités.
Cette année encore, en 2025, la boutique Mayette a connu des travaux de transformation, montrant sa volonté de poursuivre son histoire, de continuer à évoluer, en s’adaptant, avec ce souci d’allier tradition et modernité.
Pour résumer, fondée en 1808, Mayette Magie est devenue un lieu incontournable dans l’univers de la magie. La boutique a su traverser les époques et s'adapter aux goûts du public, conserver sa passion pour l'art de l'illusion, devenir plus qu’une référence pour les magiciens professionnels et amateurs : une Madeleine de Proust !