
"Artifices, Un magicien en Algérie" nous plonge dans la politique coloniale sous le Second Empire.
Nous sommes en 1856, Jean-Eugène Robert-Houdin a 51 ans et l'Algérie est en proie à de violentes révoltes indépendantistes.
Cette contestation est nourrie par la violence de la conquête commencée en 1830 par l'armée française et exacerbées par la magie qu'utilisent les "marabouts" pour montrer toute l'étendue de leur pouvoir, la vivacité de leurs traditions.
Comment contrer ce pouvoir d'influence totalement irrationnel qui attire, subjugue, impressionne et dissuade ?
Le gouvernement français a une idée : sortir d'une retraite bien méritée à Blois, épuisé par les tournées, un magicien prestigieux, Robert-Houdin !
Qui ne connaissait pas cet artiste mondialement connu, lui qui a révolutionné l'art de la prestidigitation, lui a donné ses lettres de noblesse.
Avec lui, adieu talismans, forces du Mal et approche ésotérique, qui ringardisait la magie dans cette époque de progrès et de révolution industrielle.
Avec Houdin, la magie devient méthodique, scientifique, rationnelle, et un mode d'expression artistique.
Utilisant toutes les découvertes de son époque, le magicien n'est plus un sorcier mais un gentleman, cultivé et habillé à la dernière mode, celle d'un dandy du 19ème siècle.
En 1856, il consacrait désormais sa vie à l'écriture de ses mémoires ou à la conception de nouveaux automates qui ont contribué à son immense renommée.
Sa mission fut de donner des représentations en Algérie pour confondre les sorciers rebelles, fragiliser les croyances populaires et montrer que l'Europe aussi possédait sa magie.
Ce qui était alors en jeu ne relevait plus du simple divertissement ou de remplir la salle mais bien d'établir la paix en Afrique du Nord.
Cependant, Houdin resta d'abord hésitant, sceptique : n'étant pas dupe, et ayant parfaitement conscience d'être utilisé par le gouvernement français, moins soucieux du spectacle que de promouvoir sa politique coloniale, et surtout de mater l'esprit de récolte qui grondait en Algérie, risquant de déborder dans l'ensemble de l'empire colonial.
L'armée utilisa les pires chantages, y compris affectifs, pour convaincre Houdin de rester en Algérie et d'exécuter les ordres : s'y produire pour impressionner les foules.

Bref, une page de la grande Histoire par la lorgnette de la petite histoire !
Histoire politique d'abord avec un portrait féroce des tensions coloniales qui agitent le Second Empire.
Histoire de la Magie aussi, qui montre un moment-clé dans son évolution ,et qui oppose deux visions complètement antagonistes de cet Art ancestral.
Histoire de Robert-Houdin enfin, avec la révélation d'éléments importants de sa vie d'homme.
La bande dessinée a beaucoup de qualités dont la manière de chapitrer l'histoire, qui n'est pas sans rappeler la structure du film Le Prestige de Christopher Nolan, qui structure le tour de magie en 3 actes : la promesse, le retournement et le prestige.
Beaucoup de soin a également été apporté à la mise en images : la chaleur des couleurs apportées par le soleil algérien ou la flamme des lanternes, l'immensité du désert, la reconstitution de la Maison de Blois, des automates d'Houdin.

Un grand bravo au scénariste Mathieu Mariolle, passionné d’Histoire, et à l’aquarelliste Julien Ribas qui retracent donc ici l’histoire de la dernière tournée du « prince de l’illusion », et nous rappellent avec panache que ce qui nous trompe n'est pas le magicien ou le sorcier mais bien notre propre perception, et que la sauvagerie n'est pas toujours du côté qu'on croit.
"Artifices : Un Magicien en Algérie" est sorti le 10 septembre 2025.
Publié aux Editions Daniel Maghen.
La bande dessinée est suivi d'un cahier de 10 pages qui regroupent les recherches qui ont permis de réaliser cet ouvrage, richement illustrées d'une sublime iconographie.